Semiramide, La Signora regale

La reine Sémiramis appartient aux légendes qui ont fasciné et inspiré les artistes de tous les temps. Depuis l’Antiquité, on ne compte plus les peintures, sculptures, tragédies, opéras et même chansons populaires célébrant celle qui aurait fondé la légendaire Babylone. Femme d’une exceptionnelle beauté, alliée à une intelligence et une puissance hors du commun, la Signora Regale fit l’objet d’intrigues les plus noires et de fantasmes des plus pervers, mille ans avant notre ère. « Suicidant » son époux pour s’unir au roi de Ninive envouté par son charme irrésistible et vénéneux, elle aurait régné quarante-deux ans avec leur fils tyrannique et incestueux. À la tête d’une armée de plus de trois millions de soldats, elle envahit et conquit l’Inde, l’Arménie, l’Égypte, l’Éthiopie et la moitié de l’Asie. Notre Alexandre en jupons était aussi grand bâtisseur, un architecte qui, pour édifier Babylone, fit détourner l’Euphrate, érigea soixante-dix kilomètres de murailles protégeant sa Cité, mais imagina aussi ses fameux jardins suspendus, l’une des sept merveilles du monde.

Le projet d’Anna Bonitatibus est de révéler une partie des trésors musicaux qu’a suscités la reine guerrière, brossant un panorama de différentes incarnations lyriques, d’Antonio Caldara à Gioacchino Rossini. Le mezzo italien occupe aujourd’hui une place de choix dans le monde lyrique et particulièrement l’opéra baroque. Composé de deux CD, ce nouvel album est aussi doté d’une notice richement documentée et illustrée. On trouve là une douzaine d’arie inédites au disque, magnifiquement interprétées par la séduisante cantatrice. On se souvient, entre autres, de ses Cavalli (Didone, Calisto, Ercole amante), mais aussi Händel (Agrippina), Rossini (Cenerentola), etc.

Bon nombre des compositeurs ici présents ne sont plus inconnus de l’auditeur féru des maîtres des Lumières et de l’Ottocento. Porpora, Jommelli et Bernasconi y côtoient Rossini, Meyerbeer, Catel et Paisiello. Notre diva s’y avère parfaite, maîtrisant difficultés et styles vocaux exigés par ces partitions redoutables qu’on écoute sans déplaisir. On regrettera, peut-être, un manque de rondeur et de chair, à la différence d’une Bartoli, Malibran moderne et découvreuse, comme elle, de raretés. Elle est accompagnée avec élégance et virtuosité par l’Accademia degli Astrusi, dirigée de main de maître par Federico Ferri à qui Anna Bonitatibus laisse le devant de la scène pour trois pages orchestrales.

Quand l’amateur de musique pense à Sémiramis, c’est l’air fort célèbre Bel raggio lusinghier de l’opéra éponyme de Rossini qui lui vient en tête [lire notre chronique du 26 novembre 2010]. Bien évidemment, le fameux tube enregistré par toutes les divas est bien présent dans cette anthologie. Pour la circonstance, Philip Gossett et Alberto Zedda ont retrouvé, orchestré et enregistré en « première mondiale historique » la version autographe de Rossini, squelette de l’édition critique authentifiée par la très sérieuse Fondazione Rossini de Pesaro. Nous découvrons donc pour la première fois la longue cavatine de Semiramide telle que le musicien la conçut initialement pour caractériser l’héroïne. Pour la version définitive que nous avons l'habitude d'entendre, Rossini dut écourter cette cavatine afin de complaire à Isabella Colbran, la créatrice de l’œuvre, ajoutant la fameuse cabalette pyrotechnique qui assure aux artistes un effet spectaculaire immédiat. Non suivie de la version traditionnelle qui aurait permis une confrontation des deux approches, cette initiative de renaissance fait douter de son intérêt.

L’autre curiosité de cet album est un bonus surprenant. C'est un extrait d'un pastiche attribué à Händel qui, parmi ses nombreuses héroïnes tragiques, n'avait pas abordé le mythe de la Babylonienne. Semiramide riconosciuta fut pourtantdonnée au King’s Theater (Londres) par le divin Saxon en 1733, à partir de musiques de Leonardo Vinci et de ses contemporains. L’aria Fuggi dagli occhi miei retenue ici fut créée à Rome par Vinci, quatre ans auparavant, et semble être pourtant du pur Händel.